Les origines d'Almire, son arrivée dans le Perche
.
Les origines de Saint-Almire, les relations d'Almire avec les moines :
Avit et Calais, Ulphace, Bomer, et Sénard, arrivée d'Almire au
monastère de Micy .Suite de la citation:
C'est vers l'an 525 que
l'ermite Almire, dont le nom devait bientôt devenir illustre, vint
bâtir sa cellule au pied de la colline où est aujourd'hui construit le
"Bas-Bourg" de Gréez-sur-Roc.
Né au pays des Arvernes, Almire
appartenait à cette race vaillante sur laquelle semblait planer encore
l'âme de Vercingétorix. Quand partout ailleurs, la domination barbare
avait été acceptée comme une délivrance, seuls, les Arvernes avaient
soutenu la lutte avec l'opiniâtreté du désespoir.
Il est à croire
que parvenu à l'âge des études, Almire fut envoyé par ses parents, qui
étaient de riches chrétiens, au monastère de Ménat, du diocèse de
Clermont, pour s'y instruire dans la connaissance des Belles-Lettres.
Le monastère de Ménat était alors fameux par le nombre de ses élèves et
par la science de ses maîtres.
Au début du VIème siècle, les fils
des plus nobles races accourent vers les grands monastères pour y
recueillir les derniers échos de ce mouvement religieux et intellectuel
si puissant. En envoyant leur fils à Ménat, les parents d'Almire ne
font que se conformer aux traditions des familles de leur rang et aux
usages de leur temps.
Le jeune homme rencontre à Ménat l'un de ses
compatriotes, Karilef, connu plus tard sous le nom de Calais. Tous deux
se lient intimement avec le saint moine Avit et ne tardent pas à suivre
ses inspirations : mieux vaut habiter un désert que d'habiter au milieu
des hommes criminels ........... Ils manifestent leur pensée et leur
désir à Avit et forment le projet de partir dès la nuit suivante. On
sait comment le moine Avit, économe du monastère, s'enfuit après avoir
mis les clés sinon sous la porte, du moins sous le chevet de son Abbé
pendant son sommeil.
Après une longue marche, Avit arrive , escorté
de ses deux jeunes compagnons auxquels se sont joints Ulphace, Bomer et
Sénard, sur les bords de la Loire; ils traversent le fleuve dans une
barque, puis ils gagnent Orléans pour arriver au monastère de Micy,
plus tard celui de Saint-Mesmin.
Combien Almire et ses compagnons
passèrent-ils de temps à Micy ? Nous ne le savons au juste. Ce qui est
certain, c'est qu'ils y vécurent "dans la plus stricte observance de
toutes les règles, donnant à tous l'exemple des plus belles vertus"
Mais,
si la vie en commun peut former à la sainteté, la solitude mieux encore
convient "aux parfaits" et l'attrait de la solitude se faisait alors
sentir avec une force irrésistible aux âmes d'élite. Le jeune moine
prit la résolution de s'éloigner et il vint chercher dans les âpres
solitudes du Perche une retraite ignorée pour s'y appliquer en silence
à la pénitence et à la contemplation.
"Le Perche, a-t-on dit avec sa
nature pleine de grâces et de mystères, devait être comme la terre
promise du solitaire. Que de méditations faciles à l'ombre silencieuse
des forêts qui couvrent son territoire, aux bords des ruisseaux qui
l'arrosent de toutes parts, sur ces collines d'où le regard embrasse un
si vaste horizon".
Longtemps, le Perche devait conserver " les
vastes solitudes" De nos jours encore, si d'épaisses forêts aux chênes
gigantesques et aux hêtres séculaires ne recouvrent plus son
territoire, si d'affreuses broussailles et d'inextricables halliers n'y
servent plus de repaires aux bêtes farouches, le sol ne s'en soulève
pas moins en nombreux mamelons boisés que séparent de légers
vallonnements; l'ensemble de ces collines, dont les lignes ondulent
sans jamais se briser, présente toujours le plus pittoresque aspect
avec un caractère particulier de calme et de mélancolie.
C'est en
suivant l'une de ces pentes tortueuses et boisées que nos cénobites
rencontrèrent; perdu dans l'immense forêt comme une oasis au milieu du
désert, le site à la fois fertile et enchanteur qu'on appelait alors
Piciac et qu'on ne désigne plus actuellement que sous le nom de Celle
Saint-Avit........ Celui-ci les séduisit par sa beauté et son pieux
recueillement : il leur apparut comme le lieu béni qu'ils appelaient de
tout leur désir. Bien qu'uni par les liens de la plus étroite amitié,
un jour vint où les disciples crurent devoir quitter le maître pour
porter à leur tour dans d'autres régions la lumière divine et s'avancer
jusqu'aux confins du pays des cénomans. Pendant qu'Avit retenait le
gouvernement de son monastère de Piciac, Calais se dirigeait vers les
bords de l'Anille, et Almire s'emparait de la verte et fertile vallée
de la Braye avec Ulphace et Bomer. Ces deux derniers continuant leur
route, s'arrêtèrent dans les lieux qui portent aujoud'hui leurs noms ;
Almire bâtit sa cellule au pied de la colline où s'éleve maintenant le
bourg de Gréez.
D'après une ancienne tradition, ces nouveaux
conquérants auraient donné au bourg de Gréez le nom qu'il a conservé
jusqu'à ce jour. "Ils l'empruntèrent, dit la chronique, au silex qui se
trouvait en cet endroit et dont ils se servaient alors pour
rendre leurs instruments plus tranchants." L'étymologie latine du
mot "gressus" semble indiquer plutôt que le village prit son nom de la
retraite qu'Almire s'était choisie sur le bord du ruisseau " le Pas de
Saint-Almire, gressus sancti Almiri " .
Cette partie de la vallée de
la Braye est sans contredit la plus renommée pour la fertilité de son
sol et la variété de ses sites. Toutes les beautés de la nature sont
réunies dans ce petit coin de terre d'une longueur de vingt à trente
kilomètres. Il a ses plateaux élevés, ses collines, ses gorges
sauvages, ses frais vallons arrosés de sources limpides et d'un cours
d'eau sinueux construit au sommet d'un mamelon près de Montmirail, le
bourg de Gréez occupe l'un des plus pittoresques de ces sites. Elevé
sur un promontoir formé par le confluent de deux ruisseaux qui
l'enserrent au nord et au midi, il se présente, à distance, comme
l'arène d'un immense cirque dont de hautes collines et d'épaisses
futaies forment au loin les sombres et gigantesques degrés.
A droite
et à gauche, de larges échancrures laissent entrevoir un admirable
panorama. D'un côté, ce sont les hauts coteaux de Saint-Maixent, la
forêt de Vibraye, la Justice, le château de Beauchamp; de l'autre,
Saint-Fiacre avec son belvédère, le cours de la Braye, Gémasse avec sa
couronne de grands arbres et sa coquette parure de prairies,
Saint-Ulphace qui, jaloux des richesses étalées à ses pieds, les dérobe
aux yeux du voyageur pour ne lui laisser apercevoir au loin que
l'extrême pointe de sa flèche aérienne.
A cette époque, était assis
sur le siège de Saint-Julien un évêque dont une pieuse énergie devait
caractériser l'administration, Saint-Innocent. Conserver l'unité de foi
dans l'assemblée des fidèles, résister aux attaques de l'erreur,
gouverner la barque spirituelle comme un pilote vigilant, unir la
prudence du serpent à la simplicité de la colombe, tous ces conseils de
l'apôtre inspiraient sa ligne de conduite. A la nouvelle que des
religieux étrangers se sont fixés dans son diocèse, Innocent n'hésite
pas à leur dépécher un de ses prêtres, nommé Benoît, pour les
interroger sur leur orthodoxie et sonder leurs projets.
Hâtons-nous
toutefois d'ajouter que le prélat, tout en éprouvant un certain
déplaisir à voir sa juridiction méconnue, n'avait cependant qu'un
désir, enrichir son diocèse de cette nouvelle colonie religieuse. Au
reste, Saint-Innocent ne fut pas déçu. A peine Almire a-t-il entrevu
son envoyé et pris connaissance de la lettre autographe que celui-ci
est chargé de lui remettre, qu'il proteste aussitôt de sa vénération et
de son obéissance envers l'évêque du Mans. "C'est, dit-il,
parce que lui et ses compagnons ont entendu retentir au loin la
renommée de ses vertus qu'ils sont venus se ranger sous son autorité."
Une
telle réponse comble de joie le cœur du pontife. Aux nombreux
monastères qu'il a déjà vu naître sous son épiscopat, il peut désormais
joindre une nouvelle colonie monastique dont le dévouement lui sera
précieux. Sa première pensée, dès lors, est de voir et de bénir ceux
qui viennent ainsi partager ses fatigues et prendre part aux travaux de
son apostolat.
Pour faciliter cette entrevue et diminuer les
nombreuses difficultés de voyages alors pénibles, il convoque en
assemblée générale tous les Abbés des divers monastères récemment
fondés, et leur désigne Connerré comme lieu de rendez-vous.
Après
avoir célébré avec eux les saints mystères, après avoir donné à chacun
avec le salut de l'amitié, la bénédiction d'un père à ses fils, le
saint évêque partage leur frugal repas, puis il les confirme dans la
mission qu'ils ont à remplir.
L’apôtre Almire, fondation de l’église et du monastère de Gréez
A
peine de retour de l’assemblée où l’évêque du Mans a confirmé sa
mission, Almire se met vaillamment à la tâche. Son premier soin est
d’élever, à côté de sa cellule, un oratoire à la vierge ; ce sera le
sanctuaire ou viendront bientôt s’agenouiller de nombreux disciples,
car déjà Almire a posé la première pierre de son monastère. Presque en
même temps, une église destinée aux populations converties s’élève au
sommet de la colline : c’est l’église Saint-Pierre.
Tout en
partageant ses instants entre la direction de ses moines et le travail
des champs, Almire s’attache tout d’abord à répandre l’enseignement
dans le peuple.
Le mal l’attriste et l’indigne. Il ne flatte pas, il
réprimande, il terrifie au besoin ces consciences un peu barbares. D’un
caractère inflexible, il ne craint rien, ni le peuple, ni les grands.
Pénitent héroïque, il a l’austérité qui s’impose aux foules et les
captive.
Les lieux ont parfois leur prédestination. Ceux qu’il a
choisis conviennent particulièrement au rude génie du solitaire. Almire
les parcourt pendant trente ans, du nord au midi, de l’est à l’ouest.
Il s’en va, errant par les chemins et les sentiers touffus, adressant
ses exhortations aux passants, aux bûcherons des grands bois, aux rares
cultivateurs de la vallée.
Cependant, au début, il les attire plutôt
vers lui. Ceux qui l’ont entendu se sentent émus et retournent à leur
village ou à leur cabane, pénétrés de ses accents : ils répandent son
nom et éveillent la curiosité de la foule.
Bientôt, il n’est bruit
dans la contrée que de celui que déjà on appelle le « saint homme » ;
on veut le connaître, on accourt de toutes parts à sa recherche, on
écoute ses enseignements si vigoureux et si fermes. Des disciples se
groupent autour de lui, et en peu de temps le monastère de Gréez compte
plus de quarante moines.
Doux pour les justes et les humbles, Almire
est inexorable aux fourbes et aux orgueilleux, ce qui explique comment
il gagne rapidement l’estime du peuple et l’inimitié des grands. Il y a
en effet, à toutes les époques, un besoin inné de justice au fond de la
conscience populaire. Elle paraît soulagée lorsqu’une voix
désintéressée relève sans peur et sans faiblesse les torts des
puissants, et l’opinion s’incline volontiers devant les hommes que
dévore la passion du bien.
Seuls, les derniers représentants de
l’aristocratie païenne, aveuglés par leurs richesses et leur
corruption, s’efforcent d’entraver ses enseignements qui condamnent à
jamais leurs mœurs dissolues et leurs vies quotidiennes. Or, le
paganisme conserve au VIème siècle de nombreux adeptes dans le Maine,
et pour ne parler que de notre région, nous savons par la vie de
Saint-Bomer qu’un temple dédié à Vénus s’élève encore, à cette date,
sur une colline des environs. L’histoire de notre saint nous montre que
ce n’est pas toujours impunément qu’on rappelle alors les droits de la
nature et qu’on prêche la vérité. Plus d’une fois, ses prédications
publiques lui font courir de graves dangers. La colère et la haine de
quelques-uns de ses adversaires se manifestèrent même sous une forme
violente dans une circonstance que nous ne pouvons nous dispenser de
rapporter ici.
Au nombre des habitants de l’agglomération voisine de
sa cellule, vivait un riche païen nommé Léon. Livré aux plus honteuses
passions, il étalait au grand jour les scandales de ses alliances
adultères et incestueuses. Froissé par les avertissements charitables
d’Almire et plus humilié encore par ses prédications, il avait résolu
de s’en débarrasser à tout prix. Un jour qu’il avait convié des amis à
un festin, il commence par se répandre en blasphèmes et injures contre
l’homme de Dieu ; puis, passant des paroles à l’action, il se lève,
saisit une épée et décrit au-dessus de la tête d’un de ses convives le
geste qui, dans un instant, aura fait tomber la tête du saint abbé.
Mais à peine son bras s’est-il levé qu’il retombe raide et
paralysé......
Effrayé et comprenant qu’il y a dans cet événement un
châtiment providentiel, les amis de Léon accourent auprès d’Almire, se
prosternent à ses pieds et le supplient d’obtenir la guérison du
coupable. « Toute prière est inutile, répond l’austère cénobite, tant
que celui pour lequel vous intercédez ne renoncera pas aux crimes et
aux abominations de sa vie ». Ce que la douceur et la charité n’avaient
pu faire jusqu’alors, l’étreinte plus puissante de la douleur
l’accomplit. Le païen, subjugué par une force supérieure, s’inclina
sous la main qui le frappait et se convertit avec tous les siens.
De
persécuteur, il devint l’ami dévoué du saint abbé. Grâce à ses
largesses, non moins qu’à celles de l’évêque du Mans, le monastère
commencé quelques années auparavant fut promptement achevé et plus
d’une fois, parait-il, on vit Léon subvenir aux besoins des moines.
De
tels épisodes ne sont pas rares aux temps barbares, où bien souvent les
adversaires les plus fougueux de la civilisation chrétienne devenaient,
à leur insu, les instruments de la providence dans l’exécution de son
plan de réorganisation sociale.
Quoi qu’il en soit, les faits
nous révèlent dès maintenant chez le moine Almire les deux qualités
maîtresses qui font les hommes : le coeur et le caractère, énergique et
compatissant, juste et sévère dans sa sainte indignation contre le mal,
il ne craint pas de dire la vérité, il ne transige point avec le devoir
et ne sacrifie point aux idoles du moment. Grands et nobles exemples
qu’il n’est point inutile de remettre sous les yeux aux heures de
lassitude et de défaillances.
Quand, chaque jour, les habitants de
la contrée rencontraient sur leur chemin les pieds ensanglantés, pour
le plus pauvre d’entre eux, prêt à tous les dévouements, ce moine dont
ils avaient appris la haute naissance et le sublime désintéressement,
ils s’attachaient davantage à la religion qui inspirait son héroïsme ;
ils se laissaient plus facilement gagner par son éloquence ardente et
persuasive qui a fait dire à son historien que « nul n’eut à un plus
haut degré le don de la parole ».
Mais les habitants de Grèez ne
furent pas les seuls à éprouver les bienfaits du ministère d’Almire
suivant la mission qu’il avait reçue de Saint-Innocent, le serviteur de
dieu quittait de temps à autre sa cellule et s’éloignait momentanément
pour porter, assez loin quelquefois dans la région, le nom du Christ et
la doctrine de l’Évangile. D’une activité prodigieuse, l’apôtre
refusait peu de choses, ses veilles, ses fatigues, ses courses au
travers des hameaux ou des bois : il n’aspirait qu’à se dépenser encore
et à lutter sans trêve contre l’erreur.
La vallée de la Braye fut
ainsi, dès le VIème siècle, témoin de l’admirable spectacle donné au
peuple par les moines laboureurs qui lui enseignaient à sanctifier le
travail par la prière. Car ils travaillaient de leurs mains les hommes
de Dieu, et, comme l’a écrit l’auteur de la vie de Saint-Almire, ils
vivaient du fruit de leur labeur. Le travail qui n’était pour beaucoup
alors qu’une souffrance ou une spéculation, au lieu de les rabaisser
vers la terre, devenait pour eux une oeuvre de relèvement et de salut.
A la tête de ses moines, on voit l’abbé de Grèez défricher des terres
jusqu’alors abandonnées, assainir des plaines marécageuses, et rendre à
la culture d’impénétrables taillis, repère de bêtes farouches.
C’est
alors que le ciel, voulant sans doute donner plus d’autorité à sa
parole et à ses vertus, opère en sa faveur un nouveau prodige. Un jour
qu’Almire entouré de ses frères, était occupé aux travaux des champs,
un orage accompagné d’une pluie torrentielle se déclare subitement et
force les moines à se réfugier dans une cabane voisine. Le saint abbé,
qui n’a point donné l’ordre d’interrompre le travail, reste seul pour
achever sa tâche; la pluie, cependant, redouble au point d’envahir la
chaumière et d’inonder ceux qui y ont cherché un abri. Son travail
achevé, Almire vient rejoindre ses frères, et tous remarquent avec
surprise que pas une goutte d’eau ne l’a atteint : sa fidélité à la
Règle l’avait entièrement protégé.
Défrichée et fécondée par les
sueurs des moines, la contrée se transforme peu à peu : les plateaux
arides se chargent de récoltes, les marais deviennent de riches
pâturages que couvrent de nombreux troupeaux, pendant que la prière du
saint s’élève sans cesse vers Dieu, fructifie son travail, et obtient
aux populations environnantes, avec les lumières de la foi, les
bienfaits de la civilisation. Vivant de peu et vivant heureux,
bénissant la providence dans la bonne comme dans la mauvaise fortune,
faisant de chaque coup de pioche une prière et une expiation, Almire
apparaît pendant trente années comme l’idéal sublime du moine. La
tradition rapporte que par humilité, il se refusa longtemps à habiter
le monastère, et qu’il se retirait dans une cabane en planches sur le
bord du ruisseau qui porte son nom. On montrait encore, il y a quelques
siècles, ce lieu que d’anciens manuscrits appellent « le Pas de Saint
Almire »
Après trente années ainsi écoulées dans le travail, la
prière et l’apostolat, le pieux abbé sentit ses forces défaillir. Par
un privilège commun à beaucoup de saints, Dieu lui ayant fait connaître
que bientôt il l’appellerait à lui, Almire rassembla ses moines autour
de son grabat. Il leur fit humblement sa confession, « avec autant de
larmes que s’il eut commis les fautes les plus graves », puis au jour
et à l’heure qu’il avait prédits, levant les mains et les yeux au Ciel,
le visage embrasé d’une ardente charité, il rendit son âme à Dieu ;
c’était le troisième jour des ides de septembre ( 11 septembre).
Les
auteurs ne s’accordent pas sur l’année de cette mort. Ils varient entre
les dates de 557 et 560. Cependant, si l’on admet que Saint Innocent
mourut en 569, comme nous savons par ailleurs que la mort du saint abbé
de Gréez survint dans les premières années de l’épiscopat de
Saint-Domnole, son successeur, nous sommes suffisamment autorisés à
accepter la date de 560.
Saint Almire après sa mort.
Saint Domnole, évêque du Mans, fait écrire sa vie.
A
Gréez, dans les hameaux voisins et dans toute la région, quand se
répandit la nouvelle de la mort d’Almire, l’émotion fut profonde et les
regrets unanimes ; mais, en même temps, il n’y eut qu’une voix pour
proclamer sa sainteté. On accourait de toute part pour contempler
une dernière fois les traits de celui qu’on pleurait comme un
père. Des foules descendirent le coteau et se pressèrent dans l’église
Notre-Dame qu’il avait fondée et près de laquelle il avait rendu sa
belle âme à Dieu.
On peut affirmer que, dès ce jour, commença pour
le Saint Abbé le culte que l’Eglise devait consacrer plus tard.
Alors qu’il venait de recueillir l’héritage d’Innocent un pontife qui,
lui aussi, portait au coeur deux grands amours, l’amour de Dieu et
l’amour de son peuple, Saint Domnole. Averti de la mort d’Almire dont
il connaissait les vertus et dont la renommée avait déjà publié les
merveilles, le nouvel évêque tint à l’honneur de lui rendre les
derniers devoirs, en présidant à ses obsèques et en venant premier
pèlerin prier sur son tombeau.
Le cortège funèbre ne fut qu’une
marche triomphale de la chapelle Notre-Dame à l’église Saint-Pierre, où
le corps fut déposé. Il arriva même, à cette occasion, un fait
extraordinaire qui vint de nouveau démontrer la sainteté d’Almire.
Pendant que le cortège gravissait lentement la rampe étroite et abrupte
qui conduit du bas-Bourg au sommet de la colline, on vit tout à
coup fendre la foule, traverser les rangs des moines et s’avancer
jusqu’auprès du défunt, un homme muet de naissance. Là, se prosternant
avec foi devant le corps porté à découvert, il priait ardemment au fond
de son coeur, quand tout à coup on l’entendit s’exprimer à haute voix,
et mêler ses louanges et ses acclamations à celles de la foule
enthousiasmée.
L’identité de la personne, l’évidence de l’infirmité,
connue de tous, la soudaineté de la guérison donnait, cette fois
encore, à l’événement un caractère surnaturel et miraculeux. Témoin
d’un pareil prodige, l’évêque ordonna sur le champ d’instruire la
cause de l’abbé de Gréez, et prescrivit d’écrire sa vie, dont les Acta
sanctorum ont publié le texte à la date du 11 septembre.
Déjà
proclamée avant sa mort par la voix du peuple et par plusieurs
miracles, la sainteté d’Almire se manifesta de plus en plus éclatante
sur sa tombe : les guérisons s’y multiplièrent, et les populations des
environs vinrent s’y agenouiller en foules nombreuses pendant tout le
Moyen-âge.
Les pèlerins, après s’être lavés à la fontaine, s’en
retournaient toujours joyeux et confiants, en chantant quelques-unes
des strophes “ en l’honneur de Monsieur saint Almer ” que nos anciens
missels nous ont conservées.
Il serait fort étrange que toutes les
nations se fussent donné rendez-vous autour d’une poussière humaine, et
cela pendant des siècles, s’ils ne s’étaient réellement passé là des
faits extraordinaires. La popularité universelle et perpétuelle d’un
pèlerinage est donc la meilleure preuve des prodiges qui s’y
accomplissent. Car, dit saint-Augustin, si cela s’est fait sans avoir
les miracles pour causes, c’est le plus grand de tous les miracles.
Quoiqu’il
en soit, la dévotion à saint-Almire s’est maintenue dans le pays, à
travers les siècles, et plus d’une fois les habitants de Grèez, dans
leur testament, recommandèrent particulièrement leur âme à “ Monsieur
saint-Almer ”, leur patron . Bien que la Réforme et plus tard les
doctrines philosophiques ou révolutionnaires aient ralenti le
mouvement religieux et diminué l’expression de la foi dans le culte des
saints, elles ne l’ont point anéanti. De nombreux fidèles viennent
encore aujourd’hui prier le saint abbé, surtout au jour de sa fête qui
se célèbre le 11 septembre, anniversaire de sa mort. D’autres font
isolément le “ voyage ” dans le cours de l’année, et cèdent en
cela aux besoins du moment. Beaucoup arrivent à jeun, font brûler des
cierges, demandent des évangiles ou présentent à la bénédiction de
l’Eglise les vêtements d’un jeune enfant dont la vie est en péril.
De
plus, saint-Almire est encore fréquemment invoqué par les habitants des
campagnes, lorsqu’ils ont à redouter un danger pour eux, leurs maisons
ou leurs biens, et le prénom d’Almire se rencontre assez souvent dans
la Sarthe.
Il y a loin, sans doute, de ces dernières traditions à la
fois vigoureuses et ardentes du Moyen-age, mais à une époque ou
tant d’âmes sont sans vigueur et tant de caractères anémiés,
elles n’en suffisent pas moins pour montrer quelles racines profondes,
le culte de saint-Almire avait laissées dans notre sol.
Le monastère de Saint-Almire -
Sa destruction par les Normands -
L’église de Gréez donnée au chapitre du Mans -
Derniers souvenirs du monastère.
A
la mort de son fondateur, le monastère de Gréez fut remis entre les
mains de l’évêque du Mans mais le prélat, désirant lui conserver son
autonomie, tint à assurer l’entière liberté de l’élection du nouvel
abbé. Ayant donc rassemblé les moines, il les invita à élire
eux-mêmes un supérieur qu’ils choisiraient dans leurs rangs.
L’histoire
n’a point conservé les noms des divers abbés du monastère. Cependant,
nous sommes en droit de présumer qu’ils se succédèrent, au milieu
de multiples vicissitudes, jusqu’au IXème siècle. Nous voyons, en
effet, à cette époque ( 837 ), le grand évêque du Mans, saint-Aldric,
léguer au monastère de Notre-Dame et de saint-Almire tous ses troupeaux
de Grèez, de Fresnay-en -Beauce et de Semur. Cette donation est,
croyons-nous, le dernier acte démontrant d’une manière authentique
l’existence du monastère de Gréez, qui aurait pu ainsi être d’une durée
d’environ trois siècles.
Que devint-il après l’épiscopat de
saint-Aldric ? Nous ne le savons, mais tout porte à penser qu’il
disparut, enseveli comme tant d’autres sous les ruines accumulées par
les hordes normandes. Jamais, peut-être, aucune évasion ne vint à ce
point bouleverser nos contrées. Un historien d’une grande
érudition, dom Bouquet, nous fait de ce nouveau fléau de Dieu une
peinture effrayante. Il nous le montre s’avançant à travers les cendres
fumantes des villes et les sillons ensanglantés des campagnes,
renversant les églises, incendiant les monastères et les villages,
enlevant les femmes et les enfants qu’on égorgeait sans pitié, “ en
sorte qu’on en vit qui, attachés au sein de leur mère, semblaient en
sucer le sang plutôt que le lait ”.
Entre
l’Atlantique, Paris, Orléans et Bourges, il n’y eut guère de
villes ou de monastères qui n’eurent à souffrir des ravages des
Normands. En ce qui nous concerne, nous savons que les frontières du
Maine et du Perche ne furent point épargnées : une bande, pourchassée
d’une île de la Loire, s’avança jusque dans la vallée de la Braye, et
détruisit, à quelques lieues de Gréez, la villa royale de Matval ou
Bonneveau.
Dans tous les cas, au Xème siècle, il n’est déja plus
question du monastère fondé par Almire. Vers 969, l’évêque Ménard donne
à ses chanoines toutes ses dépendances de Grèez, dépendances dont
jouissaient autrefois les abbés, successeurs d’Almire ; et il nous faut
conclure que l’évêque du Mans a désormais recueilli sur le territoire
de Gréez l’héritage des moines.
Pendant les premiers temps de la
féodalité, le chapitre du Mans ne semble pas avoir été mieux traité que
ces derniers. A l’exemple des Normands, bon nombre de seigneurs
ne se firent pas faute de mépriser également les lois divines et
humaines, et de s’emparer des biens à leur convenance. Trop faible
encore pour se faire respecter, l’autorité royale ne pouvait réprimer
les abus qu’entrainait fatalement la constitution du régime féodal. A
peine un siècle s’était-il écoulé que ces biens et dépendances de
Grèez étaient arrachés au chapitre. Ils ne lui firent retour
qu’au XIème siècle, lorsque évêque Guillaume de Passavant parvint à les
retirer des mains laïques pour les rendre à ceux qu’on avait dépouillés.
Tantôt,
c’est Rotrou Lejeune, seigneur de Montfort, qui, avant de partir pour
Jérusalem, fait amende honorable au chapitre pour une agression injuste
contre le cimetière de Grèez et en garantit la possession
paisible aux chanoines. Tantôt, c’est le chapitre qui prend à gage de
nouvelles dîmes, dans la paroisse de Gréez. Bien plus lorsque la
hiérarchie féodale est définitivement établie, le chapitre du Mans
possède la seigneurie de la paroisse qui relève de sa baronnie de
Courgenard.
De tous ces faits se dégage cette conclusion
évidente, qu’à partir du X ème siècle au moins, l’élément
monastique a fait place, à Gréez, au clergé séculier,
représenté plus spécialement par le chapitre de la cathédrale du Mans.
Depuis
longtemps, il ne reste aucune trace du monastère de Saint-Almire.
Tout au plus quelques constructions assez importantes, élevées dans le
Bas-Bourg, vers le milieu du XVI ème siècle, laissent-elles apercevoir
çà et là de nombreuses pierres éparses, dont la place incohérente
contraste avec leur usage primitif. D’autres, noyées dans une grossière
maçonnerie, rappellent par leur structure des temps plus anciens et le
vandalisme qui les a dispersées. Bref, tout indique que les
ruines du monastère ont dû servir en partie à ces constructions
dont quelques-unes avec leurs toits élancés et leurs fenêtres à
meneaux, conservent un certain cachet.
Le souvenir du monastère
d’Almire aurait peut-être disparu dans la contrée elle-même si les
générations du Moyen-âge n’avaient eu la pieuse pensée de le préserver
de l’oubli, en relevant à la mémoire de leur saint patron, sur
l’emplacement de celui qu’il avait jadis bâti en l’honneur de la
vierge, un modeste sanctuaire qui prit le nom de Chapelle de Notre-Dame.
La Chapelle Notre-Dame de Gréez -
Son histoire, ses dépendances.
Au
milieu des débris informes et des murs arasés qui permettent à peine de
retrouver aujourd’hui dans le Bas-Bourg de Gréez quelques traces de
l’ancien monastère, la Chapelle de Notre-Dame, seule, demeure
reconnaissable. Ses fortes assises en granit poli sont restées en place
: on peut encore mesurer diverses parties de l’édifice, et dans la
façade s’ouvre une porte surmontée d’un arc en accolade de la fin du XV
ème siècle.
A quelle époque fut reconstruite, sur l’emplacement de
l’oratoire primitif de saint-Almire, cette Chapelle de
Notre-Dame ? Il est difficile de le préciser.
Aux termes d’une
description de 1725, “ elle aurait été bastie à deux fois ”. L’ancien
bâtiment, ajoute ce mémoire, “ voûté de deux voûtes et la pierre de
taille n’y a pas été épargné. Le nouveau bâtiment qui forme la nef a
été édifié à moindre frais ”.
De ces détails, on peut conclure
qu’au commencement du XVIII ème siècle, le modeste édifice présentait
deux parties de dates et de styles différents : le coeur et le pinacle
de l’époque romane sans doute, et une nef très vraisemblablement de la
fin du XV ème siècle, comme l’indique l’ornementation de la porte
d’entrée.
Une sentence prononcée le 18 septembre 1737 par la
sénéchaussée du Maine et une déclaration rendue le 2 septembre
1740 au seigneur de Vibraye confirment, du reste, l’antiquité de ces
origines, en nous disant “ que la dite chapelle remonte à un temps fort
éloigné et que depuis une très ancienne répartition, ses
revenus sont solidement établis ”.
Le monastère de Saint-Almire, la Chapelle Notre-Dame.
Située,
au point de vue féodal, dans la mouvance du fief de la Motte qui
relevait des Seigneurs de Vibraye, la Chapelle Notre-Dame appartenait,
par suite de diverses transactions, moitié au curé et moitié à la
fabrique de Gréez. Elle possédait un droit de dîme que le curé et la
fabrique se partageaient et « quelque peu de terre en fonds » , sur
lesquels avaient été construits de petits bâtiments. Il y avait
autrefois, reprend le Mémoire de 1725, de plus amples bâtiments
dépendant de la chapelle, qui ont été ruinés par le laps du temps ou
délaissés comme inutiles. La preuve de ce fait résulte entre autre d’un
titre de 1606, conservé au trésor de l’église.
« Il y a en outre une
petite maison attenante à la chapelle et tenue de temps immémorial par
les vicaires ou le curé quand il loge le vicaire en son presbytère ».
Cette maison, telle qu’elle existe encore, a été bâtie en 1626. On lit,
en effet, au-dessus de la porte Nord l’inscription suivante :
M :IA :IODON :PBRE CVRE :MA :fait :Fre Avec :la :Fabrice A :commvns : frais V : Trepetin :Tibault : P OCUREVRS 1626 | La chapelle Notre-Dame de Gréez, comme on le voit, ne constituait pas
un bénéfice spécial : ses revenus se confondaient avec ceux de la
fabrique et elle était desservie par le clergé paroissial. Au
XVIIème siècle, l’usage était d’y célébrer la première messe les fêtes
et dimanches, « bien qu’il n’y eut aucune fondation pour cela » |
La
chapelle Notre-Dame de Gréez, comme on le voit, ne constituait pas un
bénéfice spécial : ses revenus se confondaient avec ceux de la fabrique
et elle était desservie par le clergé paroissial.
Au XVIIème siècle,
l’usage était d’y célébrer la première messe les fêtes et dimanches, «
bien qu’il n’y eut aucune fondation pour cela »
Tous
les offices matin et soir, les fêtes de la sainte Vierge, l’une des
messes des Rogations, et d’y venir en procession le lundi de Pâques, le
jour de la Fête-Dieu, le jour de la fête de « saint-Almer » et même
tous les dimanches, après les vêpres, de Pâques à la Toussaint.
Malgré
le nombre et la régularité de ces offices, qui suffiraient à prouver de
quelle vénération la chapelle de Notre-Dame demeurait entourée, son
entretien avait été peu à peu négligé. Dans les premières années du
XVIIème siècle, « elle n’était pas mieux ornée ni meublée que l’église
paroissiale et aussi dénuée de tout » .
En 1724, la paroisse de
Gréez ayant eu la bonne fortune de tomber entre les mains d’un prêtre
intelligent et zélé, M. Julien Bigot, le nouveau curé entreprit de
remettre en ordre son église et la chapelle de Notre-Dame. Il eut, de
plus, l’excellente idée de consigner toutes ses améliorations dans un
registre commencé en 1725, « pour instruire ses successeurs et servir
de mémoires des affaires principales » , registre actuellement conservé
aux Archives de la Sarthe.
Au moment de l’arrivée de M. Julien
Bigot, l’antique chapelle de Notre-Dame était donc bien pauvre et bien
dénudée : elle n’offrait d’intéressants, en dépit de leur état de
dégradation, que le retable d’autel et le groupe du Trespas de la
Vierge avec ses figures peintes et dorées, que nous sommes heureux de
signaler pour la première fois et qui font tout naturellement songer au
curieux retable de Saint-Jean- des-Echelles, œuvre remarquable de la
Renaissance.
En quelques années, grâce à l’activité et aux efforts
de M. Julien Bigot, l’aspect de l’humble sanctuaire se modifie du tout
au tout. Après les transformations matérielles, le pieux curé s’occupe
ensuite de réorganiser le service du culte dans la chapelle Notre-Dame
et de le réglementer sur de nouvelles bases.
Quelques-uns des
anciens usages lui paraissent offrir des inconvénients. La célébration
des offices au Bas-Bourg les jours de fêtes, par exemple, fait déserter
l’église paroissiale, « de sorte que les habitants ne pensent plus à y
rentrer, excepté ceux qui veulent, par un autre abus, recevoir la
sainte communion hors la messe ». De même, les processions de chaque
dimanche à la chapelle Notre-Dame lui semble faire perdre trop de temps.
Toutefois,
M. Julien Bigot n’entend pas détourner entièrement ses paroissiens de
la chapelle Notre-Dame, et encore moins leur faire oublier les
souvenirs qu’elle rappelle. Il propose donc d’y célébrer chaque année à
l’intention des fondateurs ou bienfaiteurs, six grandes messes, savoir
le jour de l’octave de la Chandeleur et le mardi des Rogations, le 2
juillet, fête de la Visitation, les 22 août, 15 septembre et 21
novembre, octaves de l’ Assomption et de la Nativité et fête de la
Présentation.
En 1784, l’église paroissiale ayant besoin de
réparations, on songea à transférer provisoirement l’exercice du culte
à la chapelle Notre-Dame. Une assemblée de fabrique du 6 juin décida, à
cette occasion, d’y faire quelques travaux, de manière à ce que le
service divin puisse y être célébré décemment. Lorsque la révolution
éclata, la chapelle Notre-Dame de Gréez demeurait donc entretenue avec
assez de soins pour affronter longtemps encore l’injure des siècles, et
elle restait un lieu de pèlerinage toujours fréquenté des habitants de
la paroisse. La tourmente révolutionnaire, hélas ne pouvait l’épargner
et devait bientôt joindre ses débris aux ruines accumulées sur la
vielle terre de France. Après avoir servi aux assemblées et aux
élections de la garde nationale, l’antique chapelle fut livrée à des
mains mercenaires qui la démolirent en grande partie. L’autel fut
renversé, les lambris arrachés, les fenêtres défoncées, les murs
eux-mêmes disparurent en plus d’un endroit. Seule, la porte du XV.ème
siècle a été conservée. Nous avons pu encore mesurer les anciennes
fondations de l’édifice, elle compte 22 mètres de longueur sur 7 mètres
de largeur.
Depuis la révolution, de nouvelles humiliations ont été imposées à ces tristes ruines, transformées en un vulgaire entrepôt.
Le
sol et le paysage nous restent, du moins, avec leur aspect primitif que
les siècles et les révolutions n’ont pu modifier. Ce sont bien les
mêmes collines qu’Almire a gravies pour travailler, prier et enseigner
; les mêmes sentiers qu’il a suivis, le même torrent qui s’échappe du
fond de la même gorge pour caresser les touffes d’aulnes et de
nénuphars . Les rives, comme au temps de « Saint-Almer », demeurent
muettes et recueillies, à peine troublées par quelques cris d’oiseaux
ou quelques hennissements. Le Bas-Bourg lui-même aurait gardé une
religieuse mélancolie si la civilisation moderne n’était venue y élever
un semblant d’abris d’où s’échappent les voix perçantes des lavandières
dont les palettes, activées par de robustes bras, s’abattent à qui
mieux mieux sur la toile ruisselante.
Enfin, si nous avons le regret
de ne pouvoir espérer qu’un jour la chapelle de Notre-Dame renaisse de
ses ruines, nous avons la joie de posséder dans l’église paroissiale
l’ancien oratoire Saint-Pierre, fondé par Saint-Almire et devenu peu à
peu l’église de « Monsieur Saint-Almer de Gréez », dont il nous reste à
retracer brièvement l’histoire.
L’oratoire Saint-Pierre : sa transformation en église paroissiale.
L’église de Monsieur Saint-Almer de Gréez : la nef, la tour, le chœur de 1527.
Agrandissements successifs.
L’un
des premiers soins de saint-Almire, lorsqu’il eut pris possession du
territoire de Gréez, avait été, comme nous l’avons vu, de bâtir à
quelques distances de son monastère, au sommet de la colline, un
oratoire dédié à saint-Pierre, pour servir d’église aux populations
environnantes. Après la mort de l’abbé de Gréez, son corps avait été
transporté dans cet oratoire, et pendant des siècles le tombeau du
saint devait s’y abriter.
C’est là que, dès les premiers temps,
vinrent s’agenouiller les foules ; là que se révéla toute la puissance
du serviteur de Dieu, et qu’éclatèrent mille fois les hymnes de
reconnaissance pour les grâces obtenues par son intercession.
De
bonne heure, l’édifice primitif ne tarda pas à devenir insuffisant. Aux
pèlerins qui venaient implorer le secours du saint se joignirent
d’ailleurs, de plus en plus nombreux, les habitants de l’agglomération
dont le voisinage du monastère favorisait le développement.
Autour
des monastères, serfs et colons avaient moins à redouter les
spoliations et les injustices. Ils y rencontraient, avec des germes de
civilisation, un régime de liberté relative et les moyens de parvenir à
une condition sociale supérieure. En conservant dans son sein le
principe de l’élection populaire, et en appelant des hommes de toutes
les classes aux dignités ecclésiastiques, l’Eglise ouvrait à tous des
horizons nouveaux ; elle procurait à beaucoup un affranchissement
prématuré et accomplissait ainsi, peu à peu ce qu’aucun législateur ni
aucun philosophe n’avait encore oser entreprendre. Bien plus, il
n’était pas rare alors, de voir des hommes libres envier le sort des
serfs ou des colons des monastères et supplier les moines de leur
accorder le même régime et la même protection.
Le monastère de Saint-Almire, la Chapelle Notre-Dame.
Il
fallut donc, pour répondre aux besoins des populations, reconstruire le
modeste oratoire Saint-Pierre, devenu l’église paroissiale de Monsieur
saint-Almer de Gréez, et le remplacer, au XI ou XIIème siècle, par un
édifice plus considérable qui n’est autre que la nef de l’église
actuelle.
Très nettement caractérisée autrefois par sa porte
occidentale et ses fenêtres romanes, cette nef a subi, dans le cours
des temps, des modifications profondes qui lui ont fait perdre son
ancien cachet. Seule, la porte principale, après avoir été déposée lors
des restaurations effectuées en 1858, a été assez fidèlement
reproduite, mais, dans son ensemble, elle ne s’harmonise plus avec les
autres parties de l’édifice. La baie, encadrée de colonnes qui
supportent deux archivoltes ornées de moulures et de dents de scie, et
surmontée d’un rang d’arcatures avec modillons et d’une corniche en
saillie sur le plan de la façade. Au-dessus de la corniche et au milieu
du pignon, s’ouvre une fenêtre en plein cintre, à colonnettes, flanquée
de deux arcatures de même hauteur, dont le mauvais style rappelle trop
évidemment les remaniements de 1858. A l’intérieur, le vaisseau était
primitivement éclairé par six étroites fenêtres qui ne laissaient
pénétrer sous le vieux lambris de chêne qu’une lumière assez confuse.
Dans le mur septentrional se voit le cintre d’une ancienne porte
latérale.
Plus tard, vint s’ajouter à cette nef une tour carrée,
couronnée d’une pyramide à quatre pans, d’un effet peu gracieux : la
position de cette tour, assez énigmatique, semble un regrettable défi
aux principes les plus élémentaires de l’harmonie et de l’unité
architecturale.
Au XVIème siècle enfin, s’éleva le chœur, tel qu’il
subsiste de nos jours. Bâti en 1527, comme l’indique une date inscrite
sur l’un des culs-de-lampe, il contraste absolument avec la nef par son
style, son élévation et l’élégance de ses proportions. Son plan
comporte deux larges travées voûtées qu’éclairent trois superbes
fenêtres d’une exécution très soignée et vraiment remarquable. Le
chevet carré est percé d’une grande fenêtre à deux baies, non moins
belles. Les encadrements de ces fenêtres, de même que les nervures et
certains détails d’ornementations, méritent une attention toute
particulière : on y rencontre plusieurs des savantes dispositions qui
distinguent les églises voisines de Courgenard et de la Ferté-Bernard.
A l’extérieur, des rampants décorés de crochets et de grotesques, des
contreforts élancés, que relie un double cordon d’un profil très pur
qui dessine sur tout le pourtour un long ruban de pierres, et une
charmante tourelle d’escalier, présentent un ensemble monumental, digne
de l’époque de la Renaissance.
On trouve dans ce chœur comme
l’épanouissement d’une œuvre jusque-là contenue et l’influence
manifeste d’idées nouvelles. Tout monte, tout s’élève, sous une
inspiration plus haute et plus large : les lignes se multiplient, les
arcades se prolongent, les nervures se croisent, les voûtes retombent
en gerbes de pierres.
Les maîtres maçons qui au cours du XVIème
siècle donnèrent à Blois et à la Ferté-Bernard la mesure de leur
talent, ont dû, sans aucun doute, mettre la main à ce chœur de l’église
de Gréez. Depuis longtemps, du reste, il est reconnu qu’ils ont, si non
construit, du moins profondément modifié, pendant la moitié du XVIème
siècle, toutes les églises des vingt-neuf ou trente paroisses de
l’ancien fertois. La paroisse Saint-Almire de Gréez faisait alors
partie de l’archidiaconé de Montfort et du doyonné de la Ferté-Bernard.
Elle formait de ce côté, avec Saint-Ulphace, Saint-Bomer et Théligny,
la partie extrême de l’ancien Maine, Melleray, Montmirail et Champrond
appartenant au Perhe-Gouet et au diocèse de Chartres.
Vers la même
époque, la nef, elle aussi, subissait un remaniement. Pour la mettre
vraisemblablement en rapport avec le nouveau chœur et unifier les
styles autant que possible, on ouvrait dans le mur méridional la porte
qu’on y voit aujourd’hui et deux grandes fenêtres de style gothique
flamboyant.
Ces divers travaux s’expliquent sans peine par
l’accroissement des ressources de la fabrique et de la cure depuis les
guerres du Moyen Age. Au XVIème siècle, elles possédaient déjà, entre
autres biens, les bordages de la Normanderie, de la Poupardière (1411 )
et de la Trinquetière ou Chiquetière (1445 ). Au XVIème et XVIIème
siècle, les dons et les legs à l’église de Monsieur saint-Almer se
multiplient peu à peu, en même temps que l’importance de la paroisse
s’affirme de plus en plus par la personnalité de certains curés. Grâce
à l’initiative généreuse de plusieurs de ces prêtres, de nouvelles
améliorations furent apportées à l’église de Gréez.
En 1624, par
exemple, « on construisit en haut de l’église, derrière le pignon du
sanctuaire, une nouvelle sacristie, l’ancienne se trouvant trop étroite
». L’inscription suivante, gravée sur une pierre de l’entablement,
attribue ce travail au zèle de M. Jacques Jodon, à qui l’on devra
bientôt aussi la reconstruction de la maison du vicariat, au Bas-Bourg.
En 1647, on bâtit contre la grande porte de la nef un vestibule ou
parvis, en forme de chapelle, soit pour contenir ceux des habitants qui
ne pouvaient trouver place aux festes solennelles, soit pour tenir les
assemblées de paroisses ( Archives de la Sarthe ). Cet auvent, qu’on
retrouve dans beaucoup d’anciennes églises, est aujourd’hui détruit.
En
1664, Me Pierre Aubert de Cléronne consolida la tour, au midi, par un
énorme contrefort qui portait à son sommet : Ce pilier a esté
faist par M..P Avbert de Cléronne cvré de céans 1664.
Me Pierre
Aubert de Cléronne assume en outre, à cette époque, la charge de la
paroisse de Gémasse dont le titulaire, Me Pierre Gaudin, n’observe pas
la résidence. Située à quinze cent mètres environ du bourg de Gréez, la
cure de Gémasse, fort peu importante d’ailleurs, n’a été érigée qu’en
1625, à la sollicitation et au dépend de Me Lancelot de Kaerbout,
seigneur de Gémasse, qui possédait une chapelle près de son château.
Après moins de soixante années d’une existence assez précaire, elle
sera supprimée et réunie à la cure de Gréez par décret du 31 décembre
1681, pour devenir un simple bénéfice à la présentation des
propriétaires de Gémasse.
Après la mort de Me Pierre Aubert, janvier
1720, la cure de Gréez est revendiquée par deux titulaires qui
délaissent la paroisse qui souffre de ces regrettables compétitions,
trop fréquentes alors, et de ces changements successifs : l’entretien
de l’église est peu à peu négligé.
Léguée le 6 juin 1723 à Me Julien
Bigot, la paroisse de Gréez ne pouvait tomber entre meilleures mains.
Durant huit années, elle allait posséder dans son nouveau curé l’un des
prêtres les plus pieux et les plus dévoués du diocèse. Me Julien Bigot
se mit aussitôt à l’œuvre et eut la très heureuse pensée de consigner
toutes ses améliorations dans un registre spécial, ouvert en exécution
d’une délibération de l’assemblée générale des habitants, du premier
janvier 1725. Ce registre, après nous avoir donné d’intéressants
détails sur la chapelle Notre-Dame du Bas-Bourg, nous fournit des
renseignements non moins abondants sur l’église paroissiale.
Tout
d’abord, dans les premières pages, Me Julien Bigot nous l’a décrit avec
un soin minutieux, telle qu’elle était au moment de son arrivée :
«
Il est visible, écrit-il, que l’église de Saint-Almer de Grées a été
construite à différentes reprises, à mesure que les habitants de la
paroisse sont devenus plus nombreux, depuis qu’on a défrisché peu à peu
les bois dont le terrain de ce canton était remply autrefois, comme il
résulte du manuscrit de la vie de Saint-Almir qui vint s’y establir au
VIème siècle ».
Après avoir examiné ce bâtiment de plus près et avec
plus d’attention, il a été reconnu que probablement la nef est le plus
ancien bâtiment, et l’ancienne église que la tour ne fut bâtie que
quelques siècles après, encore ne fut-elle pas d’abord si élevée ; et
que le cœur voûté et bâti de l’autre côté de cette tour est plus récent
de quelques siècles que la tour : on voit même par une inscription que
les voûtes n’ont que deux cents ans ( soit trois siècles maintenant )
et qu’une fenêtre de l’ancienne tour se trouve noyée dans ces voûtes.
Les
dépenses engagées par Me Julien Bigot, si considérables qu’elles
fussent pour l’époque, ne suffirent pas à remédier à tous les besoins,
et de fréquentes contestations s’élevèrent avec M. Lefèvre d’Ivry,
sieur de la Pinellière, qui prétendait « que c’était aux décimateurs et
non à la fabrique de fournir l’argent. » Il fallut, au mois de juillet
1728, qu’une ordonnance épiscopale trancha la question, en autorisant
le curé à engager de nouvelles dépenses ; d’où, en 1733 un second
mémoire d’environ cent écus. Me Julien Bigot, grâce à sa ténacité, « en
vint à bout peu à peu, les années suivantes ».
Mais l’énergie de Me
Julien Bigot ne devait pas seulement se manifester dans l’exécution de
ces multiples améliorations : elle nous apparaît aussi, en 1732, dans
un petit fait gros de conséquence, qui mérite d’attirer l’attention.
Cette
année là, le curé de Gréez avait à procéder au baptême d’une nouvelle
cloche, et « certains particuliers » de sa paroisse, pour affirmer sans
doute des droits douteux, y avaient fait mettre leurs armoiries par le
fondeur : Me Julien Bigot n’hésite pas. Il fait impitoyablement raser
ces armoiries et présenter sa cloche par deux pauvres : « le 31 janvier
1732, nous Julien Bigot, prêtre, curé de Gréez, doyen rural de la
Ferté-Bernard, avons fait la bénédiction de la petite cloche de notre
église, sous l’invocation de Saint-Almire, patron de la paroisse ;
laquelle cloche a été présentée par deux pauvres de notre petite
paroisse, pour obvier à toutes contestations et après que les
inscriptions et armoiries que certains particuliers, nullement
autorisés, y avaient fait sculpter par des fondeurs contre les droits
des véritables seigneurs, ont été biffées et rasées. A laquelle
cérémonie ont été présents : Mes René Morin, curé de Courgenard, René
Neveu, vicaire de Théligny, Louis Franchet, premier marguiller et
habitant de Gréez, Jean Hoyau, laboureur et second marguiller ».
Cinquante
sept ans avant la révolution, une telle revendication des droits de
l’élément ecclésiastique et populaire contre des prétentions
nobiliaires, n’est assurément pas banale. La leçon était dure : elle
suffirait au besoin pour témoigner de l’indomptable énergie du curé de
Gréez, de son esprit d’indépendance, de sa vigueur dans la défense du
droit et de la justice.
Me Julien Bigot mourut le 1er février 1741,
à l’âge de 68 ans. Il fut inhumé le 3 février dans le cœur de l’église
de Gréez, par le curé de Courgenard.
La fabrique, cette
administration, comme partout alors, fonctionne régulièrement et a pour
principal rouage « l’assemblée du général des habitants » convoquée le
dimanche, au son de la cloche à la grande porte de l’église, à l’issue
de la messe paroissiale, et dans laquelle se manifeste, par la libre
intervention de tous les paroissiens, cette égalité absolue que
l’administration civile, moins libérale, n’admettait pas encore. Sous
la direction de deux procureurs fabriciers élus par elle et sous
l’influence prépondérante du curé, l’assemblée de fabrique procède à
tous les actes d’administration relatifs aux biens de la fabrique,
vente aux enchères d’arbres à abattre , concession de bancs dans
l’église, mise en adjudication chaque année d’un septier de seigle dû
par le curé sur le lieu de la Normanderie, des herbes et du regain des
prés de la fabrique, réparations aux bâtiments, etc.
Au nombre de
ces procureurs de fabrique, nous relevons les noms de MM. François
Reimbourg, 1725, Franchet et Jean Hoyau, 1737 : Fontaine de Préelle,
1738 ; Jacques Piot, 1740 ; Jacques Roucheray, 1760 ; Louis Beauchamp ;
1761 ; Julien Guerrier, 1762 ; Louis Pineau, 1763 ; Pierre Mercier,
notaire, 1779 ; René Laborde ; Denis Girondeau et François Collet, 1781
; François Lefèvre d’Yvry et Jacques Piot, 1785 ; Joseph Poirier et
Louis Laverton 1786. (A remarquer que presque tous ces patronymes sont
disparus de la commune )
Les biens de la fabrique : (1) des terres (
Tronchet- Mazure, le pré de la Boëte, le Closos de la Vallée du Perrin,
la Noue de l’Eglise, les Villées et Roqueteaux, les Planches de
Vaufargis, le Champ de la Croix et le Champ Maréchal, les Planches de
la Coulvretière, produisant ensemble 214 livres, 35 sols, de rentes
annuelles).
(2) Des rentes foncières sur la Carrelière, la
Normanderie, le Champ Bontems, la Bretonnière, les Caillardières, la
Hernerie, les Marais, la Maison Neuve, une Maison au Bas-Bourg, la
Charmoye en Théligny, la Maison dite du Château, les Petites
Hulottières, plus deux rentes constituées, sur Monsieur Mahot de
Gémasse et le Clergé de France, s’élevant à la somme totale de 88
livres, 18 sols.
(3) Les locations des bancs de l’église, aux noms
de vingt deux, produisant environ 22 livres, 10 sols ---- soit en tout
plus de 334 livres de rentes.
Les revenus de la Cure de Gréez, à
cette même date étaient évalués 1100 livres : ces principaux biens
consistaient, en outre du presbytère, de ses dépendances et de
plusieurs maisons, en terres ou rentes à la Normanderie, à la
Trinquetière ( ou Chiquetière ), à la Poupardière, aux Thurets, à la
Rouillardière, à la Blatière, aux Bassinières, à Bois-Monfort, etc, etc
Le
22 mai 1746, par exemple , elle convient de reconstruire à neuf les
deux petits autels de la nef en les tournant dans les angles, suivant
les plans présentés par le sieur Jacques Ha, entrepreneur. Le 16 avril
1780, elle approuve quelques réparations à la couverture du haut de la
nef, fait reblanchir l’intérieur de l’église et renouveler « le vase
des fonts baptismaux » . Le 8 octobre 1786, elle fixe au printemps
prochain des réparations à faire à la tour de l’église. Ces
réparations, projetées dès 1784, sont même assez importantes pour
entraîner le transfert provisoire du culte paroissial dans la chapelle
Notre-Dame du Bas-Bourg.
D’une délibération en date du 10 février
1788 résulte qu’alors seulement les travaux sont commencés. Le 31
juillet, tout semble terminé, ces travaux sont payés par la fabrique «
qui se trouve avoir des fonds suffisants. »
La révolution, qui
éclate l’année suivante, n’arrête pas tout d’abord ces louables
efforts. Le 3 janvier 1790, l’assemblée de fabrique approuve un nouveau
marché passé par son procureur, Louis Dérouet, avec un sculpteur de la
Ferté-Bernard, nommé Pottier, pour la décoration intérieure de l’église
. Les habitants de Gréez, du reste, semblent au premier moment peu
enthousiastes du nouvel ordre des choses. Ils accueillent très
froidement l’idée de la contribution patriotique, et le 28 avril 1791,
leurs principaux représentants, Alexandre Gondard, procureur de la
fabrique, Louis Franchet, procureur de la commune, François Bouillon,
Marin Gauthier, officiers municipaux, Jacques Debon, Gilles Brière,
laboureurs « commissaires en cette affaire, » refusent de comparaître
devant le District de la Ferté-Bernard, « quoiqu’ils aient été dûment
appelés , préférant encourir les rigueurs de la loi plutôt que de
coopérer à la vente des biens ecclésiastiques.
(Les terres de la
fabrique, le presbytère et ses dépendances n’en furent pas moins vendus
peu de temps après, devant le District de la Ferté-Bernard )
L’église de Gréez à l’époque de la révolution.
Le
8 mai suivant, ils revendiquent énergiquement dans une pétition le
maintien de leur paroisse. Bien mieux, par une exception tout à leur
honneur et malgré de biens tristes exemples, ( le curé, Joseph Gervais
Guimont , après avoir prêté serment, finit par oublier ses serments les
plus sacrés et se sécularisa ;il fut remplacé par un autre prêtre
constitutionnel , M. Fournier, d’une conduite plus régulière, mais dont
une grande partie de la population refusa le ministère ), ils y
conservent l’exercice du culte jusqu’à l’extrême limite. De 1791 à
1793, les assemblées de fabrique se succèdent fréquentes et régulières.
La veille même du jour où la mort de Louis XVI allait susciter dans
tous les cœurs tant de frémissement de pitié, de colère et de terreur (
le député Boutroüe demeurant à Gréez député conventionnel vota la mort
de Louis XVI ), le 20 janvier 1793, le maire de Gréez, Alexandre
Gondard, les officiers municipaux et le conseil général de la commune,
« réunis au banc de l’œuvre, après la grand’-messe, » marchande au
menuisier Bidet, de Montmirail, pour la somme de 172 livres, une table
de communion et deux boiseries qui doivent être placées dans le
sanctuaire avant Pâques.
Protégée par ce sentiment religieux si
profond, la vieille église de Saint-Almer s’était en quelque sorte
rajeunie, et, au milieu de la tourmente révolutionnaire, elle était
restée fièrement assise sur son roc, dominant la colline et les
prairies qui lui forment une ceinture verdoyante.
Malheureusement,
l’heure arrivait où l’œuvre poursuivie avec tant de persévérance,
allait se voiler d’un crêpe de deuil. Dans les derniers mois de 1793,
les événements se précipitent avec une rapidité effrayante, la terreur
étend son règne implacable jusque dans les campagnes les plus
paisibles, déchirant momentanément l’antique pacte qui unissait la
religion et la société, rompant l’alliance traditionnelle entre le
Christianisme et la France. A peine les artisans avaient-ils rempli
leur engagement, que l’église de Saint-Almer de Gréez était fermée !
Aucun
des ouvriers de la paroisse ne consentit du moins à prêter la main à
son dépouillement. Pour descendre les cloches et abattre la croix du
clocher, il fallut recourir à un charpentier de Montmirail et à un
couvreur de Vibraye.
C’est alors que commença réellement, à Gréez
comme partout, cette période de deuil, d’effroi et d’isolement pendant
laquelle chaque famille, chaque citoyen, tremblant pour le présent,
n’osait pas même communiquer aux siens ses craintes pour le lendemain.
Des châteaux, des fermes avaient été livrées aux flammes, des paysans
dépouillés et arrêtés dans les marchés. L’insurrection des verriers de
Montmirail et des forgerons de Vibraye, il avait fallu mitrailler,
avait surexcité les esprits et provoqué de nombreux excès.
La
commune de Gréez n’en fut point exempte, et si nous n’écoutions que
l’impitoyable vérité, sans nous rappeler qu’au souvenir des morts doit
se joindre le respect des vivants, nous pourrions citer plusieurs
traits déplorables, inspirés par ces nouveaux venus, par ces
septembriseurs ou ces petits terroristes que possédaient les moindres
communes. En présence de ces faits, on se demande comment de
laborieuses et honnêtes populations ont pu se laisser ainsi dominer par
quelques démagogues de bas étage qu’il eût été si facile de mettre à la
raison ? La plupart, sans doute, ne subissait qu’à regret l’atroce
tyrannie dont elles étaient victimes. Elles avaient tout d’abord
affiché leur mépris et leur répugnance pour les jacobins campagnards,
mais depuis leur affiliation aux comités révolutionnaires, chacun
dissimulait son aversion. L’effronterie même de leur scélératesse,
leurs déclamations parsemées d’hyperboles et de pathos
révolutionnaires, leurs antécédents surtout inspiraient l’effroi et
assuraient leurs dominations.
Quoi qu’il en soit, la population de
Gréez, qui continuait à recevoir clandestinement des secours religieux
d’un saint prêtre réfugié au Bas-Bourg, sut généralement rester digne
de son glorieux passé, ( M. Etienne Franchet, qui appartenait à une
vieille et très honorable famille du pays, mourut au Bas-Bourg le 18
pluviose an V (1797 , à l’âge d’environ 81 ans ( registres de
l’Etat-civil de Gréez ), il était l’oncle de M. Franchet, maire de
Gréez sous le consulat , dont nous parlerons plus loin, et le grand
oncle de Mme Gasselin du Verger, née Franchet ) . Bien qu’elle eût
fourni un député à la Convention, elle se laissa moins entraîner que
certaines communes voisines . Elle ne vit pas, comme celle de
Saint-Ulphace, profaner son église et mutiler ses vieux saints.
Si
elle élève toujours vers les nues sa flèche élégante et hardie,
l’ancienne collégiale de Saint-Ulphace, en effet, pleure encore les
belles statues en granit qui ornaient autrefois sa façade et qui furent
brisées à coup de masse par un sans-culotte de la commune. Le
châtiment, à la vérité, fut exemplaire et par un juste retour de la
justice de dieu, le malheureux qui avait déjà deux enfants infirmes,
expia durement son crime. Un soir qu’après l’une des journées les plus
chaudes de la saison, le ciel s’était tout à coup chargé de sombres
nuages, un orage furieux se déchaîna sur la contrée. La pluie tombait à
torrents, les arbres craquaient sous l’effort du vent et le tonnerre
grondait par intervalles avec un bruit formidable. Effrayé, le
troisième fils du profanateur s’était réfugié dans les bras de son
père. Soudain un éclair jaillit, une gerbe de feu éclate dans une
explosion terrible, et l’enfant tombe foudroyé sur la poitrine du
sacrilège ! L’événement produisit dans tout le pays une profonde
impression : personne ne douta que le châtiment ne fut providentiel, et
le souvenir s’en est conservé jusqu’à nos jours, ( écrit vers 1900 )
comme celui d’un des épisodes les plus tragiques de la Révolution.
Au
mois d’avril 1801, enfin ( germinal an IX, ) une ère nouvelle s’ ouvrit
pour la paroisse de Gréez…. Pour la première fois depuis six années, la
seule cloche que l’on avait pu conserver jeta dans les airs une note
vive et joyeuse. Après avoir mêlé jadis sa voix aux fêtes et aux deuils
des habitants, célébré leurs naissances, salué leurs serments ou
traduit plaintivement leurs adieux suprêmes, elle revenait leur
annoncer dans un chant de triomphe l’événement le plus heureux qui
puisse désormais se produire pour la Religion et la
Patrie.
« Le 30 germinal an IX, (30 avril 1801) nous raconte dans un
procès-verbal d’un style quelque peu solennel, M. Franchet, alors maire
de Gréez, le carillon s’est fait entendre à cinq heures du matin. A
neuf heures, la générale a battu. La garde nationale, réunie en armes à
onze heures et précédée du tambour, s’est transportée à la maison
commune et au domicile du Maire. Sur son invitation et celle du citoyen
de Saulty, adjoint, le bataillon commandé par le citoyen Pigalle,
capitaine, s’est mis en mouvement et a dirigé sa marche vers le
Haut-Bourg où le Maire a donné une première lecture de la proclamation
des Consuls aux Français, relative au traité de paix. Un feu de peloton
et les cris prolongés de Vive le Premier Consul ont terminé cette
première publication. Le Maire a annoncé à l’Assemblée que la seconde
et dernière allait se faire dans le Bas-Bourg au pied de l’arbre de la
liberté, et sur le champ. Le cortège s’est mis en mouvement pour se
rendre sur le point désigné dans le même ordre …. Ce qui s’est exécuté
avec toute la dignité et la précision que commandait l’événement
heureux qu’on célébrait. Cette dernière lecture s’est également faite
au milieu d’une troupe nombreuse de citoyens qui faisaient éclater la
joie la plus pure, en bénissant un gouvernement dont les premières
opérations sont signalées par le retour de la paix et de la justice ».
Malgré
les sourires que peuvent provoquer les roulements enthousiastes du
tambour du citoyen Charles Cousin, l’emphase de M. le Maire, et le
défilé du bataillon de la garde nationale, on sent dans ses lignes le
frisson de joie si légitime et si profonde qui traverse les âmes des
habitants et fait battre leur cœur, en ce jour mémorable du 30 germinal
an IX ! Pour eux comme pour la France entière, c’était la délivrance,
la résurrection, le soulagement de la conscience publique.
L’église de Gréez à l’époque de la révolution (suite)
Leurs
premiers soins fut de rouvrir l’antique église de Saint- Almer qu’ils
avaient su garder intacte, et de réclamer de nouveau avec ardeur la
conservation de la paroisse. « La commune de Gréez, écrit la
municipalité, a toutes les ressources pour s’assurer à elle seule une
succursale. Sa population est de 1400 habitants ; son église, non
vendue, est spacieuse. Réparée à neuf au commencement de la Révolution,
elle n’a subi depuis aucune détérioration, et nous n’avons rien négligé
pour la maintenir dans un état de décence qui répond à la grandeur de
sa destination ». Ce langage honore à la fois et les magistrats qui le
tenaient et la population qui les avait mis à sa tête : il justifie
amplement ce que nous avons dit des uns et des autres.
« Citoyens,
continue notre orateur, vous désirez depuis longtemps un ministre du
culte catholique : vous l’avez obtenu. Chacun de vous regarde sans
doute comme un bienfait du gouvernement de posséder un instituteur qui,
rappelant aux pères de famille des idées religieuses presque effacées,
gravera encore dans le cœur de vos enfants ces principes de vertu et de
morale sans lesquelles aucune société ne peut subsister. »
Il
s’agissait, dès lors, de fixer le traitement du curé. Invitée à
s’assembler, la municipalité fit appel au dévouement et à la générosité
des habitants. Elle ne fut point déçue. Cependant les difficultés
n’étaient point épuisées. Seules les paroisses qui possédaient une
église et un presbytère avaient chance d’être conservées. Or, si Gréez
avait gardé son église, son vieux presbytère avait été vendu à vil prix
comme bien national, et huit jours seulement étaient accordés par
l’administration pour se procurer les ressources nécessaires à
l’acquisition d’un nouvel immeuble.
Après avoir manifesté
nettement ses intentions, la population de Gréez ne recula pas devant
les sacrifices exigés. Sur le champ, une souscription fut organisée et
produisit près de 3000 francs qui permirent de racheter l’ancien
presbytère et de le rendre à sa destination primitive.
Le culte
désormais était définitivement rétabli, et l’on pouvait croire, après
la lecture solennelle de la proclamation des consuls, que le temple de
Janus étant bien fermé, l’univers allait dormir en paix. La paix, hélas
! n’est point de ce monde et le 12 nivôse an XII de nouveaux troubles
éclataient à Gréez, nécessitant un appel « à la prudence, à la sagesse
et aux pouvoirs du gouvernement ! »
La bataille mérite assurément
d’être racontée dans ses moindres détails car elle n’était pas vulgaire
: elle avait pour cause l’enlèvement d’un saint !
Au fond d’un des
sites les plus pittoresques et les plus sauvages de la forêt de
Montmirail, sur le bord d’un petit ruisseau que tarissent assez vite
les chaleurs de l’été, on voit encore aujourd’hui des restes de
murailles à moitié cachées sous les grandes herbes et un monticule de
pierres entassées sous les broussailles. Ce sont les ruines d’un ancien
oratoire élevé jadis en l’honneur de Saint Antoine sur les confins de
Gréez et de Melleray, mais sur le territoire de cette dernière
paroisse. Vendu comme bien national à Monsieur Fournier, curé
constitutionnel de Gréez et depuis desservant de Vancé, le pauvre
oratoire de Saint Antoine, à la fin de la Révolution, « n’offrait plus
à l’œil du voyageur que le squelette d’une masure abandonnée » :
néanmoins cet état de délabrement, loin de le diminuer, ajoutait encore
au respect que conservait, pour le patron, un très grand nombre
d’individus qui s’y rendaient en foule au jour de sa fête.
Instruit
par un de ses anciens paroissiens de l’état pitoyable de l’oratoire et
du danger que faisaient courir les injures du temps au bienheureux
Saint Antoine, le curé de Vancé, par reconnaissance pour la paroisse de
Gréez dont il avait souvent éprouvé la bienfaisance, lui fit don de la
statue du saint, et autorisa son successeur à lui donner une place dans
son église. La donation fut rédigée en bonne et due forme, et il fut
entendu qu’un dimanche, à l’issue des vêpres, les habitants de Gréez,
le curé à leur tête, se rendraient à Saint-Antoine pour en rapporter,
avec tous les honneurs d’usage, la précieuse statue.
Aux précautions
que prend dès le début de l’expédition le chef de la troupe, aux soins
qu’il a de ne pas mettre le pied sur la terre étrangère, on sent que le
terrain est brûlant et qu’à chaque instant peut jaillir une étincelle.
Pendant qu’il s’arrête prudemment sur la ligne de démarcation, deux de
ses hommes les plus valeureux, Louis Menant, tailleur d’habits et
Coudray s’avancent rapidement vers la chapelle : au lieu de prier le
saint, ils le saisissent, le chargent sur leurs épaules et le
rapportent aux pieds de leur pasteur, « non sans beaucoup de danger ».
A peine, en effet, s’étaient-ils emparés de la statue qu’ils avaient eu
à essuyer une véritable grêle de pierres. Furieuses et plus exaspérées
encore que leur maris, les femmes de Melleray s’étaient acharnées à la
poursuite des ravisseurs et les avaient rejoints. « Forts de leurs
droits et de la protection du saint, dit le rapport de l’officier
municipal, les deux hommes avaient préféré abandonner aux doigts des
furies une portion de leur chevelure plutôt que de lâcher prise ».
A
la vue de tant d’héroïsme, la foule pousse des vivats, on félicite les
deux champions, et pendant que les citoyens de Melleray se retirent en
murmurant, ceux de Gréez hissent sur un brancard la statue de saint
Antoine, la tête ceinte d’une couronne de laurier, et l’apportent en
triomphe dans leur église.
L’incident paraissait ainsi terminé,
lorsque le lendemain, à la stupéfaction générale, on voit arriver dans
le bourg de Gréez les habitants de Melleray, armés de pied en cape. A
la tête de la colonne marche, ceint de son écharpe, le citoyen maire,
un excellent homme mais qui a le grave défaut de ne pouvoir s’exprimer.
Flanqué d’un huissier de justice et de trois gendarmes de la brigade de
Vibraye, suivi de toute sa troupe, il se présente devant son collègue
de Gréez, et après de longues hésitations, finit par balbutier le nom
de saint Antoine. Le citoyen Thierry, par contre, en sa qualité
d’huissier près le tribunal de Mamers, a la langue mieux pendue : il se
montre prolixe, et même menaçant, et déclare que si on ne rend pas sur
le champ la statue enlevée, la commune de Melleray va se lever en masse
pour l’obtenir. Au même instant, on apprend qu’un véritable appel au
peuple a mis en mouvement la population de Melleray, que le maire et le
curé se sont entendus et que six cents individus se disposent à courir
aux armes pour reprendre la statue. Cependant, le maire de Gréez,
Monsieur Franchet n’entend pas céder. Il fait aussitôt réunir sa garde
nationale, et lui donne l’ordre de défiler « en présence de l’ennemi ».
Comme il l’espérait, le mouvement produit une impression salutaire et
calme les plus exaltés. Plutôt que d’engager le combat, le maire de
Melleray, la maréchaussée et toute la bande jugent prudent de
déguerpir, ne remportant en guise de victoire que la honte d’une
piteuse échauffourée. La statue de Saint Antoine demeura dans l’église
de Gréez et l’affaire se termina moins héroïquement qu’elle n’avait
commencé, par un long rapport au Préfet de la Sarthe.
L’événement
qui eut pu devenir tragique, fut appelé dans le pays « la Bataille de
Saint Antoine » C’est aux premiers jours de l’époque contemporaine, un
bien curieux souvenir des anciennes rivalités de paroisses et aussi un
témoignage pittoresque de la force que les traditions religieuses
avaient conservée, en dépit de la Révolution, dans les populations
évangélisées par saint Almire. Aujourd’hui, encore, ces traditions ne
sont pas perdues, et après l’avoir été trop longtemps retirée de
l’église de Gréez, la fameuse statue de saint Antoine doit y reprendre
place prochainement toujours vénérée et invoquée.
(A replacer dans le contexte de l’actualité fin 19ème tout début 20ème 1890-1900 ).
L’église
de Saint-Almer, elle-même, vient de retrouver une vie et une splendeur
nouvelles. Aux travaux exécutés dans la nef, de 1856 à 1858, du temps
de M. l’abbé Morancé dont le nom est resté en vénération dans la
paroisse, se sont ajoutées, depuis 1896, une restauration mieux
comprise de l’extérieur du chœur, la reconstruction de la sacristie et
d’importantes améliorations intérieures.
La grande fenêtre du
chevet, entre autre, a été dégagée de la maçonnerie qui l’obstruait à
moitié, et ornée d’un vitrail à deux lancettes, représentant d’un côté
la mort de Saint-Almire, de l’autre, l’origine du scapulaire dont
l’archiconfrérie est érigée canoniquement dans la paroisse. L’autel,
aux planches de peuplier vermoulues et crevassées, a fait place à un
autel en marbre blanc, qui à défaut d’autre mérite, a au moins celui de
rappeler le nom d’un éminent prélat. ( Mgr de Dreux-Brézé, évêque de
Moulins, qui avait fait don de cet autel à l’église de Mont-Saint-Jean
). Le retable dégrossi, remanié et prolongé sur ses côtés par des
arcatures surbaissées, apparaît plus léger, plus gracieux. Les bancs
qui fermaient l’entrée du chœur ont été transformés en stalles. Le
sanctuaire, enfin, a reçu avec un nouvel ameublement, un carrelage en
céramique, et a pris de plus vastes proportions par le déplacement de
la table de communion repoussée jusqu’à la tour.
Comme aux meilleurs
jours de l’histoire paroissiale, de multiples et généreux concours se
sont réunis pour assurer cette heureuse métamorphose de l’antique
église de Monsieur Saint-Almer. Dès 1895, sur l’initiative du conseil
de fabrique, l’administration municipale de Gréez s’honorait, en votant
pour la réparation du chœur et la construction de la sacristie, une
somme de 2000 francs. Peu après, le ministère des Cultes y joignait une
subvention de 1400 francs et la Commission départementale des Monuments
historiques, une autre subvention de 350 francs, affectée spécialement
au nettoyage des voûtes. La Fabrique et la générosité des habitants
aidés de quelques souscripteurs du dehors, ont fait le reste. Tous ont
tenu à participer à l’œuvre sous les formes les plus variées : aucun,
on peut le dire, n’est resté étranger à un élan qui, du centre de
l’agglomération, s’est propagé dans les plus petits hameaux.
D’autre
part, M. Pascal Vérité, inspecteur des édifices diocésains, qui avait
la direction des travaux, les a conduits avec un art et un talent
auxquels nous tenons à rendre publiquement hommage. Copiste sévère,
imitateur scrupuleux quand il répare ou reproduit un monument ancien,
il nous a montré par ailleurs qu’il savait, dans les parties neuves,
étudier des combinaisons ou risquer des formes nouvelles alliant
agréablement l’art à l’originalité et à l’élégance.
Ces
restaurations, qui datent d’hier, prouvent que la paroisse de Gréez
demeure toujours attachée à sa vieille église et par suite au culte de
son patron le moine Almire, car il y a de tout temps une corrélation
forcée entre le culte d’un saint et l’édifice qui lui est consacré. Les
générations nouvelles sauront, elles aussi, nous l’espérons, garder
avec ce double attachement, un reconnaissant souvenir au pieux
solitaire, qui apporta jadis au pays, les premiers germes de la
civilisation. Pour être de notre temps, il n’est pas nécessaire de
renier dédaigneusement le passé, et toute notre histoire nationale
témoigne que le véritable progrès n’est que l’épanouissement des
efforts ou de l’expérience des siècles antérieurs.
Nous trouvons en appendice de ce récit :
«
Comme l’avait pressenti des savants, la vie de Saint-Almire n’aurait
été rédigée qu’au IX ème siècle ; ceci n’enlève rien au souvenir des
traditions et des documents plus anciens tout en rappelant que
l’histoire est faite de faits avérés et de légendes ».
Fin de l’histoire de Gréez par l’abbé Vavasseur.